Des aliments équitables? «Une tromperie sur la marchandise

Ce qui arrive dans nos assiettes ne devrait pas nous être égal, ce qu’on met dans la Constitution ne doit certainement pas l’être. L’initiative pour des aliments équitables s’avère en définitive une tromperie sur la marchandise. Voici pourquoi.

Souvent, les initiatives sonnent bien. En tout cas au premier regard, en tout cas pour ce qui est de leur titre. Plus personne n’ignore que les partis qui en lancent régulièrement les considèrent davantage comme un instrument de marketing que comme un véritable moyen de résoudre les problèmes. Avec l’initiative pour des aliments équitables, les Verts montrent à leur tour qu’ils maîtrisent le registre populiste. Et c’est bien vrai, autant pour le titre de l’initiative qu’on pourrait retrouver en grosses lettres sur un produit de marque dans les rayons d’un supermarché haut de gamme que pour le choix d’un sujet qui ne laisse personne indifférent. Qui ne se soucie pas de ce qui arrive dans son assiette? Et qui voudrait vraiment agir de manière inéquitable? Si ce n’était pas un nouveau texte constitutionnel mais un nouveau muesli, je l’achèterais au moins une fois pour l’essayer.

Malheureusement, on ne peut pas adopter les textes constitutionnels à l’essai – ils sont définitivement contraignants. Et ce n’est pas le titre qu’on met en œuvre, mais le contenu. Les initiants formulent clairement ce qu’ils veulent dans le texte explicatif de l’initiative, qui serait aussi déterminant pour sa mise en œuvre: à court ou à moyen terme, seuls des produits alimentaires satisfaisant au standard IP devraient être vendus en Suisse puis, à long terme, seuls des produits au standard Bio. Le texte de l’initiative demande pour cela que la Confédération réglemente les conditions de mise sur le marché et de déclaration des denrées. 

Des prix qui prendraient l'ascenseur

Les conséquences de cette régulation de l’offre sont draconiennes et, surtout, inéquitables. Un panier des ménages moyen rempli de produits bio coûte 48% de plus que le même panier s’ils ne le sont pas. Cette hausse affecterait surtout les familles et les personnes à bas revenu. Pour les revenus de moins de 5000 francs par mois, la part des dépenses alimentaires atteindrait ainsi 20% du budget global. Le prix des produits augmenterait et le choix se réduirait. On verrait surtout disparaître les spécialités étrangères en raison de la bureaucratie réglementaire et des procédures douanières. L’initiative serait aussi inéquitable pour les commerces situés près de la frontière parce que le tourisme d’achat augmenterait considérablement. Et le tourisme, qui souffre déjà du franc fort, serait encore pénalisé par les prix élevés des aliments à l’achat. 

L’initiative veut en outre qu’on impose les standards suisses aux autres pays, les denrées importés devant «en règle générale» satisfaire «au moins» à ces exigences. Une revendication très problématique, autant sur le plan moral qu’au niveau économique. 

Des concepts tels que le «respect de l’environnement» ou le «respect des animaux» sonnent bien, mais il n’existe aucune définition internationalement reconnue de ces notions. Une interdiction des importations provenant de l’élevage intensif serait contraire aux règles de l’OMC qui veut que les produits ne soient jugés que sur leurs caractéristiques physiques. C’est aux habitants de ces pays de décider dans quelle mesure leur production doit respecter l’environnement ou l’équité sociale et ce qu’ils entendent par là. C’est à eux de trouver un compromis sensé entre les composantes sociales, écologiques et économiques – et c’est leur droit. Les en priver implicitement serait faire preuve d’arrogance morale – pour ne pas dire: d’iniquité. 

L’aspect macroéconomique pose aussi des problèmes parce que, si la Suisse ne pouvait plus les respecter, elle se verrait contrainte de résilier différents traités et accords de libre-échange. Et les petits malins n’ont pas à chercher de voies détournées, a déjà dit clairement le Tribunal fédéral à propos de la mise en œuvre de l’initiative contre l’immigration de masse. Il serait désormais impossible de conclure de nouveaux accords de libre-échange tels que celui qui est en préparation avec les États du Mercosur. Les débouchés de notre industrie d’exportation dépendent pourtant de ces accords. C’est donc aussi le cas pour des milliers d’emplois ainsi que les deux tiers de la prospérité durement acquise de la Suisse. L’initiative les prend tous en otage – c’est inéquitable. 

Un regard sur la situation juridique actuelle montre combien les initiants outrepassent le but recherché. En réalité, la loi sur l’agriculture demande déjà aujourd’hui que les produits importés répondent aux mêmes standards que les produits indigènes. Mais elle inclut une réserve décisive: elle le fait à la condition que la Suisse ne prenne pas d’autres engagements au niveau international. Cette précision permet de chercher des compromis pragmatiques et acceptables - également au niveau politique - pour les deux parties lors de négociations. Y renoncer serait vraiment un mauvais signal à une époque où les Trump de ce monde errent comme des éléphants dans un magasin de porcelaine dans l’édifice fait d’accords et de traités qui garantit notre bien-être et notre paix. 

En définitive, l’initiative pour des aliments équitables constitue une tromperie sur la marchandise. Au lieu de comprendre la durabilité comme le résultat d’un compromis judicieux entre les intérêts écologiques, sociaux et économiques, elle subordonne tout à une idéologie écologique aveugle. Et c’est pourquoi ses conséquences n’auraient finalement rien d’équitable – au contraire.

Le point de vue exprimé dans cet article est celui de son auteur et ne reflète pas forcément celui de swissinfo.ch.

Auteur: Roger Kölbener, Président du PLR International